Troubles oro‑myofonctionnels : comprendre, identifier, accompagner

Date : Tags :

Sous le terme un peu obscur de troubles oro‑myo‑fonctionnels (TOM) se cache une réalité très concrète : celle du visage, de la bouche, de la langue et de tout ce qui, chaque jour, nous permet de parler, avaler, respirer, sourire. Ce domaine, à la croisée de la neurologie, de la posture et de la parole, est l'un des plus subtils de l'orthophonie moderne. Et pourtant, il concerne des milliers d'enfants et d'adultes, parfois sans qu'ils ne sachent nommer leur difficulté.

Que signifie « trouble oro‑myo‑fonctionnel » ?

Le mot « oro » renvoie à la bouche, « myo » au muscle, et « fonctionnel » à l'usage qu'on en fait. Un trouble oro‑myo‑fonctionnel désigne donc une altération du fonctionnement musculaire de la sphère orale : lèvres, langue, joues, mâchoire, voile du palais. Ces structures travaillent en permanence, souvent sans qu'on en ait conscience : elles participent à la respiration, à la déglutition, à la mastication, à l'articulation des sons.

Lorsqu'un déséquilibre s'installe - tension excessive, faiblesse musculaire, mauvaise coordination -, ces fonctions s'en trouvent perturbées. Cela peut se manifester dès l'enfance ou apparaître plus tard, à la suite d'une intervention chirurgicale, d'une pathologie ORL, d'un trouble neurologique ou d'une habitude oro‑faciale persistante (succion du pouce, respiration buccale, etc.).

Les signes qui doivent alerter

Les troubles oro‑myofonctionnels ne se limitent pas à des « problèmes de langue » : ils influencent toute la dynamique oro‑faciale. Certains signes sont discrets, d'autres plus visibles. Parmi les plus fréquents :

  • Respiration majoritairement buccale

  • Difficultés à fermer la bouche au repos

  • Langue visible entre les dents pendant la parole ou la déglutition

  • Mastication lente ou inefficace

  • Bavement, surtout chez l'enfant

  • Prononciation imprécise (sons /s/, /z/, /t/, /d/, /n/, /l/ souvent déformés)

  • Ronflements, troubles du sommeil ou fatigue diurne

  • Dents déplacées malgré un traitement orthodontique

Ces signes peuvent sembler anodins, mais ils traduisent un déséquilibre musculaire durable. Avec le temps, ce déséquilibre peut influencer la croissance du visage, l'occlusion dentaire et même la posture corporelle.

La respiration buccale : un symptôme central

La respiration buccale est au cœur de nombreux troubles oro‑myo‑fonctionnels. Lorsqu'un enfant respire par la bouche, les muscles du visage se réorganisent : la langue se place trop bas, les lèvres perdent de leur tonicité, la mâchoire inférieure s'abaisse.

Ce mode respiratoire modifie la forme du visage (aspect allongé, pommettes aplaties), ralentit la croissance nasale et perturbe la déglutition. Il favorise aussi les infections ORL à répétition, car l'air n'est plus filtré ni humidifié par le nez.

L'orthophoniste travaille alors à réhabiliter la respiration nasale, en collaboration avec l'ORL, l'orthodontiste et parfois le kinésithérapeute.

L'articulation et la parole : quand la langue s'en mêle

La langue est un muscle d'une précision étonnante. Mal positionnée, elle modifie la production de nombreux sons. L'enfant qui dit « the » au lieu de « se » ou « zoreilles » au lieu de « oreilles » n'a pas un simple défaut de prononciation : sa langue pousse trop fort contre les dents ou se place trop en avant.

Ces déformations, appelées sigmatismes ou interpositions linguales, traduisent souvent un trouble oro‑myofonctionnel sous‑jacent. L'orthophoniste évalue alors les mouvements de la langue, la tonicité des lèvres et la coordination respiration‑parole.

La rééducation s'appuie sur des exercices ciblés : placement correct de la langue au repos, travail de fermeture labiale, renforcement musculaire doux et conscient. L'objectif : restaurer une parole fluide, stable, et éviter les rechutes articulatoires.

La déglutition atypique : un mécanisme perturbé

Dans une déglutition normale, la langue monte vers le palais et exerce une pression contrôlée sur ses parois. Dans la déglutition atypique, elle pousse vers l'avant ou sur les dents. Cette pression répétée modifie peu à peu l'arc dentaire et peut compromettre un traitement orthodontique.

On parle souvent de déglutition infantile persistante, car ce schéma est normal chez le nourrisson mais doit disparaître vers 5‑6 ans.

L'orthophoniste aide alors à reprogrammer ce geste automatique par un travail patient de rééducation musculaire. L'apprentissage passe par la conscience du mouvement, des exercices devant un miroir, des auto‑massages et des techniques de relaxation faciale.

La déglutition devient ainsi un acte réappris, maîtrisé, intégré à nouveau dans la chaîne oro‑faciale.

Orthophonie et orthodontie : une alliance indispensable

Les TOM sont souvent révélés lors d'un suivi orthodontique. L'enfant a des dents déplacées, un palais trop étroit, une respiration buccale, et malgré un appareil dentaire performant, les troubles reviennent après le traitement.

La raison est simple : tant que la fonction n'est pas corrigée, la forme se dérègle à nouveau. D'où la nécessité d'une prise en charge conjointe : orthodontiste et orthophoniste travaillent main dans la main pour stabiliser les résultats.

L'orthophoniste assure la rééducation fonctionnelle, tandis que l'orthodontiste corrige la structure osseuse et dentaire. Ensemble, ils garantissent une harmonie durable entre esthétique, fonction et confort respiratoire.

Les adultes aussi sont concernés

Les troubles oro‑myo‑fonctionnels ne s'arrêtent pas à l'enfance. Chez l'adulte, ils peuvent réapparaître ou persister à la faveur de certains événements :

  • Chirurgie maxillo‑faciale ou orthodontique

  • Apnées du sommeil

  • Problèmes posturaux

  • Maladies neurologiques (AVC, Parkinson, sclérose en plaques)

  • Séquelles de paralysie faciale ou de cancer ORL

Dans ces cas, la prise en charge orthophonique vise à réharmoniser les fonctions orales : respiration, mastication, déglutition, articulation. Elle permet de restaurer le confort, d'améliorer la qualité de la voix et de limiter la fatigue musculaire.

L'approche est alors plus globale, intégrant la conscience corporelle et la coordination motrice.

Le rôle de l'évaluation orthophonique

Avant toute rééducation, je réalise un bilan oro‑myo‑fonctionnel complet. Celui‑ci comprend :

  • L'observation du visage au repos et en mouvement

  • L'évaluation de la respiration, de la phonation et de la déglutition

  • L'analyse de la tonicité musculaire (lèvres, langue, joues, voile du palais)

  • Des tests de motricité fine et de coordination

  • Un entretien approfondi sur les habitudes (sommeil, alimentation, postures, antécédents médicaux)

Ce bilan me permet d'établir un plan de soin personnalisé, souvent en partenariat avec d'autres professionnels (ORL, orthodontiste, kinésithérapeute, ostéopathe, dentiste).

La rééducation est ensuite adaptée à l'âge, au profil et aux objectifs fonctionnels du patient.

Des exercices concrets pour rééduquer la sphère oro‑faciale

La rééducation oro‑myo‑fonctionnelle repose sur une combinaison d'exercices progressifs et ludiques. Parmi les plus courants :

  • Travail labial : fermer la bouche, maintenir une paille entre les lèvres, souffler dans une balle ou un instrument.

  • Exercices linguals : faire monter la langue au palais, pointer des zones précises, maintenir la position de repos.

  • Coordination souffle‑voix : chanter, articuler sur une expiration longue, synchroniser parole et respiration.

  • Mastication consciente : mâcher lentement, alterner les côtés, percevoir les sensations musculaires.

Ces gestes sont simples mais puissants : ils rééduquent les automatismes du quotidien et redonnent au visage toute sa mobilité fonctionnelle.

Une intervention à la croisée du soin et de la prévention

L'un des grands enjeux de l'orthophonie oro‑myo‑fonctionnelle est la prévention. Plus les troubles sont identifiés tôt, plus la rééducation est efficace et durable.

Chez l'enfant, un dépistage précoce permet d'éviter les troubles articulatoires ou les traitements orthodontiques longs et coûteux. Chez l'adulte, une prise en soins adaptée prévient les complications posturales, les douleurs mandibulaires ou les troubles du sommeil.

En ce sens, l'orthophoniste joue un rôle clé : elle ne se contente pas de « corriger », elle anticipe, observe, éduque et guide.

Redonner une cohérence au visage et à la parole

Les troubles oro‑myo‑fonctionnels rappellent à quel point notre visage est un espace vivant, relié au souffle, au langage et à l'émotion. Une bouche fermée, une langue apaisée, une respiration fluide : autant de signes d'équilibre entre le corps et la parole.

En travaillant sur ces fonctions primaires, je vous aide à retrouver un confort global, à la fois physiologique et psychologique. Car parler sans effort, avaler sans tension, respirer librement, c'est déjà mieux vivre.

Et c'est peut‑être là toute la beauté de ce métier : restaurer ce que nous avons de plus humain, ce lien intime entre le corps et la voix.

À lire également

Date : Tags :
La maladie d’Alzheimer représente aujourd’hui un enjeu sanitaire majeur en France, en raison du vieillissement de la population et des progrès dans l’espérance de vie. En 2025, on estime qu’environ 1,4 million de personnes vivent avec une maladie d’Alzheimer ou une pathologie apparentée en France. Ce nombre devrait presque doubler d’ici 25 ans...
Date : Tags :
En tant qu'orthophoniste spécialisée dans la prise en soins des adultes et des personnes âgées, je me suis formée à l'Éducation Thérapeutique du Patient (ETP), démarche qui peut transformer la manière dont on vit avec une maladie chronique, telle que la maladie d'Alzheimer, de Parkinson ou encore après un Accident Vasculaire Cérébral (AVC).
Date : Tags :
Il existe un moment presque imperceptible où les mots se dérobent. Ce n’est pas une question d’oubli, mais de connexion. L’idée est là, tapie quelque part dans le cerveau, mais la bouche hésite, la phrase s’effiloche. Pour la personne qui en fait l’expérience, c’est une énigme intime, une brisure silencieuse. Pour l’orthophoniste, c’est un langage à décoder.